Cléa Merucci, dans sa thèse « Caractérisation mécanique des scellements au plomb dans le grès de la cathédrale de Strasbourg », se penche sur une technique de construction millénaire. Son stage à la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame a constitué une base concrète et donné naissance au projet de recherche.
Bien que mise en œuvre dans l’architecture européenne et étudiée sous les angles historique et chimique, la composante mécanique de cette méthode reste encore méconnue, malgré son usage répandu et ses origines anciennes.
L’objectif est double : approfondir la compréhension de cette technique et ses performances mécaniques, et explorer son potentiel d’adaptation aux constructions modernes.

Principe et historique des scellements au plomb

Coulage au plomb, chantier du portail Saint-Laurent, crédit : F.OND, photo : Simon Woolf
Coulage au plomb, chantier du portail Saint-Laurent, crédit : F.OND, photo : Simon Woolf

Le scellement au plomb consiste à verser du plomb en fusion autour d’un noyau métallique (fer, cuivre, laiton) dans une cavité aménagée à la jonction de deux blocs de pierre. Cette méthode trouve son origine dans l’Antiquité, où Grecs, Romains et Vikings l’utilisaient dans leurs constructions. Le plomb était préféré à la chaux et au mortier pour ses propriétés : moins sensible aux conditions climatiques, prise immédiate, durabilité et coût faible. Historiquement, les étapes de coulage sont restées inchangées : percement des réservations dans les pierres, calage des pierres pour aménager l’espace du joint, création d’une étanchéité avec de l’argile pour contenir le plomb liquide, coulage du plomb en fusion, lissage du joint.

Avantages et propriétés du plomb

Les propriétés physico-chimiques du plomb en font un matériau remarquable :

  • Résistant : Il supporte bien les conditions climatiques extrêmes et les agents chimiques.
  • Protecteur : Il crée une étanchéité autour des armatures en fer, les protégeant de la corrosion.
  • Ductile : Il accommode les contraintes et les petites déformations sans se rompre.
  • Durable : Sa capacité à former une couche d’oxydation protectrice lui confère une grande longévité.
  • Facile à utiliser : Sa faible température de fusion (327,5 °C) simplifie son emploi sur les chantiers et son recyclage pour de nouveaux scellements.

Impacts du plomb sur l’environnement

Le plomb est toxique pour l’homme à hautes doses, lorsqu’il est ingéré ou inhalé. Lors du coulage des scellements au plomb, les artisans utilisent des équipements de protection individuelle qui les préservent de tout contact avec la matière. Une couche d’oxydation se forme ensuite rapidement, protégeant ainsi le scellement des éléments extérieurs et de l’eau de ruissellement des pluies. Il est donc impossible que des particules de plomb issues des scellements soient charriées par ces eaux et contaminent les réseaux urbains.

Le plomb offre un avantage notable : sa fusion à basse température permet un recyclage optimal. Ainsi, lors du retrait d’un scellement, il est toujours refondu pour en fabriquer de nouveaux, ce qui permet de récupérer plus de 95 % de la matière.

Contexte de la cathédrale de Strasbourg

Scellement d'un socle de la haute tour, crédit : Cléa Merucci
Scellement d’un socle de la haute tour, crédit : Cléa Merucci

Les scellements au plomb de la cathédrale de Strasbourg, omniprésents et soumis à des sollicitations complexes, contribuent à la stabilité de l’édifice. La cathédrale est située sur une faille sismique et exposée à des variations climatiques importantes. Elle repose sur un sol limoneux et argileux avec des fondations en pieux de bois immergés dans la nappe phréatique. La question du rôle des scellements en plomb dans la conservation de l’équilibre de la structure et de leur comportement mécanique est donc cruciale.

Méthodologie et objectifs de la thèse

Bâti de fluage, crédit : Cléa Merucci
Bâti de fluage, crédit : Cléa Merucci

Cléa adopte une approche méthodique selon trois axes de réflexion complémentaires pour affiner la compréhension du comportement mécanique des scellements au plomb.

  • Analyse métallographique : étude des échantillons prélevés sur la cathédrale pour déterminer leur composition chimique et leur microstructure. Cette étape est primordiale pour formuler un plomb représentatif pour les essais futurs.
  • Étude en fluage : analyse de la déformation du plomb sous différentes contraintes constantes à l’aide d’un bâti de fluage. Les résultats permettront de prédire le comportement du matériau sous diverses conditions de contraintes et de température.
  • Modélisation rhéologique et en fluage : exploitation des données expérimentales pour prévoir le comportement du matériau sous différents chargements, y compris dans le cas de sollicitations complexes.

Perspectives

Inventaire (en cours) des scellements de la cathédrale, crédit : Cléa Merucci
Inventaire (en cours) des scellements de la cathédrale, crédit : Cléa Merucci

Cléa réalise à l’heure actuelle un inventaire complet des scellements présents sur la cathédrale. Certains scellements seront suivis dans le temps pour comprendre les sollicitations subies et les raisons d’éventuels endommagements. Ses recherches envisagent de comparer la technique historique du scellement au plomb avec les méthodes contemporaines de scellement chimique.

Et si cette pratique millénaire devenait une technique d’avenir ?

Poster - Caractérisation mécanique des scellements au plomb dans le grès, crédit : Cléa Merucci
Poster – Caractérisation mécanique des scellements au plomb dans le grès, crédit : Cléa Merucci

En effet, le travail de thèse de Cléa vise à déterminer la composition chimique des scellements au plomb et à analyser leurs comportements sous sollicitations mécaniques pour mieux comprendre leur rôle dans la stabilité des édifices historiques et explorer des applications contemporaines.

Contexte académique et encadrement de la recherche