De son extraction à son façonnage en atelier, jusqu’à sa pose sur la cathédrale de Strasbourg, le grès est exposé à des contraintes d’ordre physique, atmosphérique et chimique.

Sculpture d'Ulrich d’Ensingen, fissures, crédit : F.OND, 2006
Sculpture d’Ulrich d’Ensingen, fissures, crédit : F.OND, 2006

Le grès se modifie en fonction et au contact de son environnement (gélivité, dilatation, matériaux de liaison, humidité, pollution, etc.), sans détérioration dans certains cas, avec perte de lecture et de qualité dans d’autres configurations.

Comme en médecine, l’étude des pathologies du grès consiste à analyser les « maladies », leurs symptômes et leurs origines. Les actions de conservation portent aussi bien sur la matière elle-même que sur les causes et les conditions qui provoquent ces altérations.

Les paramètres et variables responsables des différentes pathologies sont nombreux et complexes. Grâce à un travail interdisciplinaire minutieux et méthodique qui associe observations, analyses et traitements, les connaissances sur les « maladies » du grès s’étoffent.

Les altérations du grès sans perte d’intégrité physique

Le grès subit parfois des modifications superficielles de façon naturelle ou par l’action de l’Homme. Dans la plupart des cas, ces changements n’entraînent pas de dégradations significatives du matériau.

Les figures d’altération rencontrées sont d’ordre chromatique ou sous la forme de dépôts.

  • Changement de couleur du grès causé notamment par l’humidité ou l’oxydation de métaux (fer, cuivre, etc.).
  • Patine artificielle réalisée pour harmoniser les teintes des grès dont le vieillissement peut s’avérer inesthétique.
  • Graffiti par application de peinture, d’encre, de rayures ou de gravures.
  • Dépôt matérialisé par une accumulation de matériaux exogènes organiques (cheveux, terre, fientes, etc.), inorganiques (plastiques, déchets, salissures de mortier, plomb, etc.).
  • Encrassement constitué par des dépôts et des particules très fines comme les poussières et les suies.

Le cas particulier de la patine ferrugineuse

Sous certaines conditions environnementales, le grès peut développer une patine comparable à celle du bois manufacturé. Les qualités intrinsèques du matériau sont peu ou pas impactées.

La patine « noire naturelle » ou patine ferrugineuse se forme à partir des oxydes de fer contenus dans les grès et dans les zones exposées aux intempéries. Elle forme une fine couche protectrice de couleur noire. Cette patine ne doit pas être confondue avec les croûtes noires, qui sont des concrétions salines sources de détérioration.

La colonisation biologique

Sur la cathédrale de Strasbourg, monument vivant à plusieurs titres, toute une faune et une flore s’y développent.

Colonisation biologique (algues), crédit : F.OND
Colonisation biologique (algues), crédit : F.OND

Le développement végétal (algues, mousses, microorganismes/bactéries, moisissures et lichens) peut entraîner des modifications de surface (le grès est un support idéal de développement). Dans certaines conditions d’exposition, de croissance et d’humidité, ces organismes peuvent causer des détériorations, allant du simple dessertissage des grains à l’apparition de cavités, voire à la fracturation des joints et du grès en présence de systèmes racinaires développés.

Les altérations du grès avec perte d’intégrité physique

Le grès subit des atteintes qui altèrent son intégrité fonctionnelle et décorative. Ces dégradations ont plusieurs origines : les facteurs environnementaux (climat et activité humaine), les propriétés et la composition du grès, sa morphologie et sa situation sur l’édifice, et les types de scellement utilisés.

Les fissures

  • Microfissure : Fissure d’ouverture inférieure à 0,1 mm.
  • Fissuration en étoile : Ensemble de fissures qui se développe de façon rayonnante. La corrosion d’éléments métalliques, l’impact de projectiles sont des causes possibles de fissuration en étoile.
  • Fracture : Fissure qui traverse complètement une pierre.
  • Clivage : Développement d’une cassure le long de microfissures, etc.. Une pierre posée en délit, par exemple une colonne, peut se cliver le long des plans de litage si la charge qu’elle supporte est trop importante.

Les détachements

  • Boursouflure ou cloque : Détachement d’une couche superficielle de la pierre sous forme d’un bombement creux plus ou moins fissuré, et de forme sub-hémisphérique. Ce détachement est souvent occasionné par la présence de sels.
  • Éclatement : Perte locale de matière en surface de la pierre, causée par des pressions internes, par exemple provoquée par la corrosion des agrafes ou des goujons.
  • Délitage : Détachement suivant les lits du grès (dans le plan de sédimentation).
  • Exfoliation : Détachement de couches subparallèles à la surface de la pierre, comme un feuilletage.
  • Désagrégation sableuse : Détachement de grains individuels ou d’agrégats de grains. Les particules du matériau ne sont plus liées.
  • Desquamation : Détachement d’écailles indépendamment des lits du grès, caractérisé par la faible épaisseur de perte de matière.
  • Pelage : Décollement partiel ou total d’une très fine couche de pierre.
  • Détachement ou desquamation en plaques : Quand celui-ci reproduit le modelé de la pierre, parallèlement à sa surface.

Les pertes de matière

  • Érosion : Disparition de la surface originelle de la pierre qui conduit à des contours émoussés.
  • Perte de constituant : Correspond à l’élimination sélective de constituants comme des lentilles d’argile.
  • Dégât mécanique : Perte de matière causée par une action mécanique (martelage, etc.).
  • Partie manquante : Absence de tout ou partie d’une pierre. Cette figure d’altération affecte souvent les éléments proéminents et exposés des sculptures (nez, orteils, doigts).

Les dépôts

  • Croûte noire saline : Particules atmosphériques piégées dans du gypse qui se développent dans des zones abritées de la pluie.
  • Efflorescence : Amas de cristaux de sels principalement blancs localisés en surface.
  • Subflorescence : Les cristaux de sels se forment sous la surface de la pierre.

Les sels solubles, un problème sanitaire pour les grès

Les sels solubles (chlorures, nitrates, sulfates, calcium, sodium, potassium, etc.), outre leur présence naturelle dans les matériaux, proviennent des combustions des hydrocarbures et se retrouvent dans l’atmosphère (pluies acides). Ils sont également issus des produits d’épandage sur les sols comme le salage hivernal (par remontées capillaires). Les mortiers à base de ciment sont également source de contaminations. Lorsque leurs concentrations dépassent les seuils de tolérance des grès (matériaux poreux), ces sels engendrent des désordres qui peuvent varier de la simple efflorescence à des pertes de matière significatives.

La préservation des grès de la cathédrale de Strasbourg requiert une approche multidisciplinaire, portée par la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame et son atelier de conservation. Comprendre les mécanismes d’altérations, les facteurs environnementaux et les impacts des interventions humaines est essentiel pour préserver l’intégrité et la valeur historique du monument.